Banques islamiques : Finance Islamique, Principes, Acteurs et Perspectives d’un Modèle Éthique Mondial

Introduction

La finance islamique, longtemps perçue comme un système économique marginal, connaît aujourd’hui une croissance fulgurante sur les cinq continents. Présente dans plus de 80 pays, elle représente un marché de plus de 4 000 milliards de dollars, avec des perspectives d’expansion constantes. Loin d’être une niche réservée aux pays musulmans, elle séduit désormais de nombreux investisseurs, institutions publiques et acteurs de la société civile, y compris dans des pays à majorité non musulmane. Londres, Luxembourg, Francfort, mais aussi Hong Kong, Tokyo ou Johannesburg comptent aujourd’hui des guichets ou des fonds dédiés à cette finance éthique.

Les banques islamiques jouent un rôle clé dans l’essor de la finance islamique, en proposant des solutions conformes aux principes de la charia.

Mais que recouvre réellement cette notion de « finance islamique » ? Est-ce un simple habillage religieux ou une réelle alternative au système financier dominant ? Sur quels principes repose-t-elle ? Comment fonctionne-t-elle concrètement ? Quels sont ses avantages, ses limites et ses défis pour demain ?

Ce dossier propose une immersion détaillée dans les fondements, les mécanismes et les enjeux de cette finance atypique. Sans chercher à faire l’apologie ni la critique, il vise à exposer clairement et rigoureusement la logique interne du modèle islamique, ses institutions, sa régulation et sa place croissante dans l’économie mondiale.


1. Les principes fondamentaux

1.1 Interdiction de l’intérêt (Riba)

Le premier principe, et sans doute le plus emblématique de la finance islamique, est l’interdiction absolue du riba. Ce terme, souvent traduit par « intérêt », recouvre en réalité toute forme de rémunération fixe et garantie du capital sans contrepartie d’effort ou de risque. Le Coran condamne explicitement le riba dans plusieurs versets, dont celui-ci :

« Ceux qui se nourrissent de l’usure ne se tiennent [au Jour du Jugement] que comme se tient celui que le diable a frappé de sa folie. […] Dieu a permis le commerce, et interdit l’usure. » (Coran, 2:275)

Cette condamnation morale s’appuie sur une logique économique : faire fructifier son argent sans contribuer à l’activité réelle est injuste. L’argent ne doit pas être une marchandise en soi, mais un outil au service de l’économie productive. L’interdiction du riba vise donc à empêcher l’accumulation spéculative de la richesse, les situations de dépendance du débiteur envers le créancier, et les crises systémiques nées d’un excès de dettes non adossées à des actifs réels.

En pratique, cela signifie qu’un établissement islamique ne proposera jamais de prêt à intérêt, que ce soit à un particulier ou à une entreprise. Il lui faudra recourir à d’autres formes de financement, basées sur le partenariat, la vente ou la location.


1.2 Partage des profits et des pertes (Moudaraba et Mousharaka)

Le deuxième pilier de la finance islamique est le partage équitable des profits et des pertes. Contrairement au système conventionnel, où le prêteur est remboursé avec intérêt quelle que soit la performance du projet, le modèle islamique impose une solidarité des risques. Cette logique se matérialise dans deux types de contrats :

  • Moudaraba : une partie apporte le capital, l’autre son savoir-faire. Si le projet réussit, les bénéfices sont partagés selon une clé convenue à l’avance. En cas de pertes, le capital est entamé, mais le gestionnaire ne supporte pas de dette, à condition de n’avoir commis ni faute ni négligence.
  • Mousharaka : les deux parties investissent des capitaux et/ou des efforts, et partagent les résultats au prorata de leur contribution.

Ces mécanismes encouragent une finance responsable, car l’investisseur devient un partenaire impliqué dans la réussite du projet. Cette exigence de transparence et de bonne gouvernance est un des apports majeurs du modèle islamique.


1.3 Interdiction de la spéculation excessive (Gharar) et du jeu (Maisir)

Le troisième principe est la lutte contre l’incertitude excessive (gharar) et le jeu de hasard (maisir). Le droit islamique interdit toute opération où une partie contracte sans savoir exactement ce qu’elle obtient. Cela comprend :

  • Les ventes avec des clauses floues ou illisibles,
  • Les paris et jeux d’argent,
  • La spéculation pure déconnectée de l’économie réelle (ex : trading de produits dérivés sans livraison d’actifs),
  • Les contrats d’assurance classiques à prime fixe avec indemnisation aléatoire.

L’objectif est double : protéger les plus faibles contre l’exploitation et préserver la stabilité du système financier.


1.4 Lien avec l’économie réelle

La finance islamique impose un ancrage dans l’économie réelle : toute opération doit impliquer un bien ou un service tangible. L’argent ne peut pas circuler indéfiniment sans retomber dans l’économie productive.

Cette exigence exclut les produits purement financiers (CDS, futures non livrables, swaps sans adossement, etc.) au profit de mécanismes commerciaux ou industriels concrets.


1.5 Interdiction du financement d’activités illicites (haram)

La charia prohibe l’investissement dans certains secteurs jugés moralement ou socialement nuisibles, tels que :

  • L’alcool,
  • La pornographie,
  • Les jeux de hasard,
  • Les activités liées au porc,
  • L’usure financière,
  • Le commerce ou la fabrication d’armes.

Cette interdiction traduit une volonté d’économie pacifique et éthique.


2. Les principaux contrats islamiques

2.1 Moudaraba

Contrat où un investisseur fournit le capital (rabb al-mal) et un gestionnaire apporte son savoir-faire (moudarib). Les profits sont partagés selon un ratio fixé, mais les pertes sont supportées uniquement par l’investisseur, sauf faute du gestionnaire.

2.2 Mousharaka

Co-entreprise où chaque partenaire apporte capital et/ou travail, partageant profits et pertes selon des modalités convenues. Variantes : mousharaka permanente et mousharaka dégressive (rachat progressif des parts).

2.3 Mourabaha

Vente à crédit avec marge déclarée : la banque achète un bien, le revend au client avec une marge connue, et le client paye en mensualités. Pas d’intérêt, la rémunération est intégrée au prix.

2.4 Ijara

Contrat de location d’un actif par la banque à un client. Variantes :

  • Ijara simple : retour de l’actif à la banque à la fin,
  • Ijara wa iqtina : location avec promesse de vente progressive.

2.5 Salam et Istisna

Financement anticipé de biens futurs :

  • Salam : paiement à l’avance pour une marchandise livrée plus tard,
  • Istisna : fabrication sur commande avec échéancier de paiement.

3. Les institutions et acteurs de la finance islamique

3.1 Banques islamiques

Elles fonctionnent sans prêt à intérêt, investissent dans l’économie réelle via des contrats conformes à la charia, et rémunèrent les dépôts par partage des bénéfices.

3.2 Sukuk : les obligations islamiques

Équivalents des obligations, les sukuk donnent droit à une part des revenus générés par un actif réel, et non à un intérêt fixe.

3.3 Organismes de régulation et comités de conformité

Chaque institution islamique s’appuie sur un conseil de conformité charia, des auditeurs spécialisés et des référentiels internationaux (AAOIFI, IFSB), assurant la transparence et la légitimité religieuse des produits.


4. Les enjeux contemporains

4.1 Une finance au service du développement

La finance islamique favorise l’inclusion financière, soutient les PME et finance des infrastructures, notamment via les sukuk souverains.

4.2 La digitalisation et la fintech islamique

Le secteur connaît une rapide transformation numérique avec l’émergence de néobanques islamiques, de plateformes de crowdfunding halal et de solutions blockchain compatibles avec la charia, permettant d’atteindre de nouveaux publics.

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